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La Liberté d’expression ou le voile du droit à la provocation ? ( Par Mamadou DIA) 

« Nous défendrons la liberté que vous enseigniez si bien et nous porterons haut la laïcité. Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d’autres reculent »; ces mots tirés du discours du Président de la République française tenu le mercredi 21 Octobre 2020 dans la Cour de Sorbonne, traduisent la tension actuelle dans le monde suite aux récents développements qu’a connu l’affaire Samuel PATY, enseignant français décapité le 16 Octobre 2020 dans la commune de Conflans-Sainte-Honorine.

Pour rappel, Samuel PATY avait, à l’occasion d’un de ses cours d’enseignement moral et civique sur la liberté d’expression tenu le 06 Octobre 2020, utilisé deux caricatures du prophète Mouhamed issues du journal Charlie Hebdo. Cet acte de ce regretté enseignant n’a pas manqué de soulever un sentiment de mécontentement et de frustration auprès de certains jeunes apprenants de confession musulmane ainsi que de leurs parents. C’est ainsi que s’en suivra l’événement tragique à savoir sa décapitation ce qui a soulevé un vaste mouvement d’indignation dans l’hexagone sous prétexte de la défense de la liberté d’expression.
La liberté d’expression, criée partout, chantée sur tous les toits, défendus dans tous les lieux publics devient de plus en plus la source de toutes les tensions nationales et internationales auxquelles sont confrontés plusieurs pays à travers le monde. Qu’est-ce que la liberté d’expression ? Que renferme cette notion de liberté d’expression ? Quel est son domaine d’application ? Que se cache-t-il vraiment derrière cette liberté d’expression ? N’existerait-il pas de limites par rapport à cette liberté d’expression ?, en voilà autant d’interrogations qui méritent une réflexion approfondie de notre part pour mieux cerner les contours de cette liberté d’expression et ainsi, apporter notre modeste contribution qui certainement pourrait aider à éclairer la lanterne de nos concitoyens.
Répondre à ces différentes interrogations reviendrait pour nous à faire un bref rappel historique des origines de cette liberté d’expression. Il faut dire que cette dernière a vu le jour dans le monde occidental vers la fin du 18e siècle. C’était d’abord une liberté restreinte, limitée à une catégorie de personnes à savoir les autorités royales, seigneuriales et religieuses. Ensuite, en 1776, les Etats-Unis venaient de gagner leur liberté sur la couronne britannique et ont adoptés leur première constitution qui sera amendée pour la première fois en 1789 pour ainsi garantir aux citoyens leur liberté d’expression : c’est ce qu’on appelle First amendment.
En outre, dans l’espace géographique européen et plus particulièrement français, la liberté d’expression serait le fruit de la révolution de 1789 qui libéra son peuple de la tutelle de la monarchie absolue, et ses représentants dans l’Assemblée nationale considéraient tout le monde, hommes et femmes, comme des égaux, ayant les mêmes droits fondamentaux. C’est ainsi que l’assemblée nationale française votera la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du citoyen le 26 Aout 1789 qui consacre dans son article 11 la liberté d’expression. Au-delà de l’Etat français, la liberté d’expression sera reconnue et consacrée dans au niveau communautaire avec le Conseil de l’Europe qui adopte en 1950 une convention européenne des Droits de l’Homme dans son article 10, mais également au niveau mondial avec l’intervention des Nations unies par l’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 qui reconnait la liberté d’expression à travers son article 19. Enfin pour finir, notons que l’assemblée générale des nations unies a adopté le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques qui consacre aussi le principe de la liberté d’expression.
Ce petit rappel historique du processus de reconnaissance, de consécration et de légitimation de la liberté d’expression peut sembler banal aux yeux du lecteur. Il n’en est pas pour autant ainsi, car ce retour dans le passé nous permet de noter deux choses :
D’abord l’origine occidentale de cette liberté d’expression : en effet, la liberté d’expression telle que retracée plus haut est un concept développé et théorisé par les occidentaux, c’est une création qui leur est propre et par voie de conséquence, le contenu de cette liberté d’expression pourrait être singulier à cette communauté de cette partie du monde. L’origine occidentale de la liberté d’expression nous permet de comprendre toutes les divergences et tous les débats notés autour de cette dernière puisqu’en réalité, la liberté d’expression occidentale peut ne recouvrir le même contenu, ne pas avoir le même entendement, la même compréhension que la liberté d’expression d’un autre espace géographique tel que l’Afrique, l’Asie, etc. c’est le cas par exemple des valeurs occidentales qui n’ont rien avoir avec les valeurs africaines, asiatiques ; il en est de même qu’en ce qui concerne la conception de la famille occidentale qui est diamétralement opposée à la conception de la famille africaine. En clair, la liberté d’expression française peut sensiblement être différente de la liberté d’expression Sénégalaise ou Rwandaise, même s’il faut constater aujourd’hui que ces valeurs sont érigées en valeurs universelles c’est-à-dire partagées par toutes les civilisations du monde ; chose qui reste à vérifier, car en réalité ce sont des valeurs propres à un espace géographique que l’on voudrait étendre à toute la civilisation humaine en occultant le principe du droit à l’autodétermination des peuples.
En dépit de cette origine occidentale de la liberté d’expression, un autre élément nous parait essentiel dans cette analyse ; il s’agit du contexte de lequel est née cette liberté d’expression ou du champ d’intervention de la liberté d’expression.
Un regard porté sur le contexte d’avènement de la liberté d’expression nous permet de constater que cette dernière a vu le jour dans une période de bouillonnement de la vie politique de l’occident, et c’est uniquement sur le champ politique que la liberté d’expression a connu tout son succès. De la consécration première de la liberté d’expression par la constitution des Etats-Unis jusqu’à sa reprise par le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques en passant par les Déclarations Universelles des Droits de l’Homme, il n’y a pas un élément qui se démarque de ce contexte politiquement agité. En effet, un vent nouveau soufflait à travers tout l’occident et qui correspondait à un désir de se libérer de l’emprise de la royauté et de l’église qui ne toléraient point certains comportements. Le roi était considéré comme un dieu et nul n’a le droit de le contredire ou de le défier. Les rares personnes qui avaient osées adopter de tels comportements subissaient un lourd châtiment allant parfois jusqu’à la mort. C’est dans ce contexte de soif de la parole, du besoin d’être écouté, d’avoir le droit de choisir son gouvernant, son représentant qu’a vu le jour la liberté d’expression. Elle a connu son essor sur le champ politique et non religieux ou dans un autre domaine ou la croyance est forte. Donc, la liberté d’expression telle que présentée aujourd’hui devrait être limitée à l’espace politique ou médiatique et exclure d’office son admission dans la circonscription religieuse ou culturelle puisque ce sont domaines d’une très grande sensibilité. Le domaine religieux, de la spiritualité et de la foi sont des espaces ou la liberté d’expression à l’occidentale bouleverse, traumatise, choque, secoue, fait trembler, blesse, perturbe la personne au plus profond d’elle-même. Pour preuve, à chaque fois que la manifestation de la liberté d’expression s’exprime par une représentation caricaturale relative à la foi et à la spiritualité d’une personne ou d’une communauté, cela n’a pas manqué de soulever des sentiments de mépris, d’indignation et de haine. Cette thèse ne sera certainement pas démentie par le peuple français et son satirique du nom de Charlie Hebdo. De notre point de vue, il y’aurait un non-dit qui se cacherait derrière cette liberté d’expression. Il s’agirait en réalité de servir de base justificative pour cautionner un droit à la provocation. En effet, la tendance actuelle vers laquelle se penche cette liberté d’expression dans le monde consiste à justifier tout propos, acte et manifestation par la liberté d’expression. Une personne n’étant pas de la même confession que vous pourrait mettre à nu votre croyance, ridiculisée votre foi et bafouée votre spiritualité au plus profond de vous-même et trouver refuge derrière la liberté d’expression. De pareilles situations, nous le vivons tous les jours comme en atteste les derniers événements liés à cette affaire de Samuel PATY ou le Président de la République Française tente de justifier l’utilisation de la photo caricaturale du prophète Mouhamed par la liberté d’expression. Ne s’arrêtant pas sur ce point, il enfonce le clou en affirmant très solennellement que les caricatures sur le prophète ne s’arrêteront pas. Une déclaration qui n’a pas manqué de soulever des mouvements contestations dans tous les pays à forte concentration de la communauté musulmane. Cette situation pourrait être facilement évitée. Il suffirait tout simplement de prendre un personnage x, sans identité précise et inconnu du public pour faire passer son message et faire comprendre à ses élèves la liberté d’expression. Pourquoi vouloir toujours prendre un personnage qui est considéré par une grande communauté comme unique en tout, sans rival encore moins d’égal ou de comparaison possible entre lui les autres créatures sur terre. Prendre cette personne en exemple en particulier dans une caricature pour illustrer la liberté d’expression n’est rien d’autre que de la provocation et par ce moyen, admettre une certaine légalisation et légitimité du droit à la provocation qui n’existe nulle part.

Mamadou DIA,