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Sénégal : Discours publics et stigmatisation du handicap ( Par Damel Maissa Fall ) 

Au Sénégal, Notre pays, qui se veut une exception, pour sa capacité à gérer toute sorte d’antagonisme dans la tempérance, la violence symbolique et verbale est devenue la marque de fabrique discursive des hommes publics, qu’ils soient politiciens, syndicalistes, activistes ou religieux. Ici, s’opposer à une idée ou une décision n’est plus forcément faire cette part entre la divergence des orientations, idéologies et visions, tout en gardant en tête les convergences qui font de nous des citoyens Sénégalais avant tout, ayant en commun l’identité nationale, la culture et surtout l’amour et le service au peuple. La manière de s’opposer ou de contredire pose aussi la problématique du rapport à l’altérité, plus spécifiquement dans cette contribution, du rapport aux personnes en situation d’handicap.
En effet, nos discours trahissent et traduisent foncièrement nos convictions profondes. Nos mots portent la voix de nos représentations sociales. Les messages, images et signaux que nous utilisons et véhiculons à travers les canaux diversifiés du monde médiatique en cristallisent le sens et l’universalisent en quelque sorte. Ayant, du coup, un impact déterminant dans le rapport de la société aux personnes souffrant de handicap. Un rapport assez négatif. La valeur de leurs discours, fortement médiatisés par les organes de presse, la télévision, les radios, les sites internet, les réseaux sociaux, est fondamentalement modulée en fonction d’un impératif d’opposition binaire. De fait, ils ne tiennent pas en compte les effets et les impacts de cette parole publique, d’un point de vue social, psychologique.
Car le handicap est appréhendé un peu partout dans le monde à la lumière d’une diversité de représentations sociales, religieuses et culturelles dont la tendance la plus forte trahit sa considération comme une infériorité. La personne souffrant de handicap n’est pas une personne inférieure. Elle ne l’est ni en droit, ni en obligation, et sous aucun plan. Son handicap ne saurait être ramené et résumé à une infériorité. Il souffre juste d’un déséquilibre entre ses aptitudes restantes et les exigences de son environnement. Le handicap ne saurait être le fait d’un dysfonctionnement des relations de la personne en question avec le spirituel (Dieu) ou le relationnel (la société).
Or, la manière dont il est procédé demeure agressive doublement car, au-delà du fait d’atteindre sa cible, ce discours ainsi que formulé et recherché, est fondamentalement une agression et une violence orientée. Anti-normatif, il ne s’adresse plus seulement à l’autre comme opposant mais à une multitude d’autres personnes, citoyennes à part entière et partie intégrante de notre communauté. Cette violence est d’autant plus directe que les actions stigmatisées critiquées par le tenant du discours contre performatif s’adresse à une masse consistante de citoyens en puissance qui, partageant le principe d’opposition ou de contradiction sur cette idée ou une décision, et ayant en commun les mêmes perceptions sociales, religieuses et/ou culturelles sur la question, se fera sienne ce mode de procédure hautement agressif envers les personnes handicapées (sur les 13. 465.536 d’habitants, 794.466 vivent avec un handicap).
En se traitant mutuellement et quotidiennement de « mongoliens, d’aveugles, d’attardés, d’incapables, d’invalides, de fous, d’estropiés et j’en passe », autant de termes discriminatoires et péjoratifs, ils instaurent une réalité où c’est la société et l’environnement qui positionnent les personnes handicapées en situation d’handicap et non plus la maladie ou le handicap lui-même.
Ce qui demeure par contre incompréhensible, c’est pourquoi cette situation perdure. Et pourtant, ces autorités publiques sont celles-là mêmes qui votent les lois ou les défendent à travers les médias. Ce sont des avocats, des magistrats, des professeurs, des sociologues, des technocrates, des députés, Maires, des artistes, des religieux, et j’en passe. Ils ont travaillé de connivence avec les organisations de droits humains et l’Etat pour la restauration de ces personnes handicapées dans leur droit et leur intégrité. Ils connaissent la Loi d’Orientation Sociale n° 2010-15 du 6 juillet 2010 relative à la promotion et à la protection des droits des personnes handicapées. Ils savent, pour avoir peut être même participé à sa création, qu’en son article 2, concernant les discriminations, « sont considérées comme discriminatoires, toutes les dispositions ou actes qui ont pour conséquence, l’exclusion ou peuvent causer la réduction des chances ou un préjudice aux personnes handicapées ».
Et pourtant leurs discours pensent le handicap, consciemment ou non, par rapport à un idéal de normalité existant. Dans le ring qu’est devenu l’espace public sénégalais, tous ces discours, fortement construits à partir d’un vocabulaire élaboré du handicap, renvoient à un manque dans la gestion des choses du peuple, une faille dans l’administration du système. Et donc symboliquement aussi, le handicap en devient tout ce qui est contraire au « normal », au « complet » pour dire l’incomplétude de l’être handicapé. L’exclusion dont ils sont victimes est fondamentalement alimentée par la manière dont nous parlons, écrivons, et dépeignons les choses. Les mots comptent. Quand est ce que nous allons prendre la juste mesure de leur force ?
Il est impératif de changer les regards sur le handicap. Les personnes souffrant de handicap ne doivent plus être vues que sous la lumière de ces déficiences à corriger ou de ces manques à compenser.
Quelle est la part d’éthique et d’empathie qui revient à chacun ? Elle est où l’éthique ? Quelle serait-elle dans ce contexte ? Apprendre à faire converger et coïncider l’action publique avec un mode de pensée auquel on croit légitimement. Ce qui suppose une attitude et un code de conduite en harmonie avec sa vision et dans le respect strict des valeurs humaines universelles. Respect de l’altérité, discipline, courtoisie, empathie.
Ces valeurs sont-elles bien représentées dans les médias ? Cette question se pose forcement quand on voit les rixes politiques être le centre de l’information, sans censure, ni autocensure. Les propos insultant et /ou violents des uns et des autres font les gros titres de quasiment toutes les revues et surtout des sites internet.
Elle se pose quand les droit humains ne sont pas pensés en profondeur et repensés quant à leur violation publique et assumée. Elle se posera tant que les organisations nationales et internationales des droits humains ne feront de ce problème une réalité et un facteur à combattre. Et que la violence symbolique, verbale orale ou écrite n’est pas combattue avec la même hargne que les violences sexuelles, les agressions physiques. Elle se posera tant que notre déontologie et notre éthique ne nous interdit pas de verser dans la bassesse des querelles d’intérêts purement mesquines.
Les téléfilms foisonnent portant sur le couple, l’amour. Qu’en est-il des productions axées sur ces thématiques ? Nous n’aimerons jamais assez tant que nous n’apprendrons à nous aimer les uns les autres. L’amour du prochain précède toute forme d’amour.
Nos discours populaires seront toujours de plus en plus porteurs de ces injustices tant que l’impératif de vente et de clic primera sur l’impératif de porter sens. Ils seront pollués et lourdement chargés de la douleur des autres et des larmes des faibles tant que chacun, chacune de nous ne fera pas sienne une vision macroscopique de la réalité, intégrant tous les maillons de la chaine et leur accordant la même valeur et le même intérêt. Il en sera ainsi tant qu’à tous ces niveaux, il ne sera pas considéré que toute personne qui a un corps et une âme soit une personne normale et humaine comme tout le monde.
Bien entendu, pour étayer mon propos, il y a un florilège de violences verbales commises par des personnes publiques à l’endroit des personnes en situation de handicap. Mais une citation ad hominem, au lieu d’amener les mis en cause à faire amende honorable, pousserait leurs thuriféraires à la surenchère et ferrailler de plus belle. Donc je ne cite personne, mais appelle à la responsabilité, à la décence et à l’élégance. Nos compatriotes, comme tout grand peuple, méritent des hommes publics respectueux. Donc faisons preuve de dignité.