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Entretien avec Dr Bassirou Niang, Leader du mouvement « Intelligence Républicaine »: «La question sur le mandat est claire. On n’a pas besoin d’un vieux constitutionnaliste venu de la France pour nous interpréter nos textes »

Ses sorties sont généralement attendues, tellement la teneur du discours laisse entrevoir un engagement qui frise l’émancipation. Avec Dr Bassirou Niang, aucun sujet n’est tabou et les réponses qu’il livre sont d’une rare clairvoyance d’esprit, car reposant sur une analyse lucide et une vérité crue. Ce qui est rare chez les politiques où l’on se comporte comme si on est en face du chef qui peut, à tout moment, sortir le sabre. Donc, avec le Président de ‘’Intelligence Républicaine’’, nous avons fait un tour d’horizon sur les questions qui agitent le landerneau politique marqué par le limogeage de certains responsables dans le gouvernement, les retrouvailles de Wade et Macky et l’avenir de sa formation politique, entre autres .
Que vous inspire le limogeage des personnalités ces derniers temps ?
Nommer ou démettre un responsable relève des prérogatives du chef de l’Etat, c’est un pouvoir réservé à lui. Ce qu’il faut interroger par contre, c’est bien ce pouvoir qui est laissé entre les mains du chef de l’Etat qui, à tout moment, peut démettre quelqu’un ou nommer qui il veut dans des stations. Comment dans un pays démocratique, le Président de la République peut-il concentrer autant de pouvoirs (on chuchote en coulisses un pouvoir à caractère divin de démettre ou de couper des têtes quand il veut) ? Cela pose problème dans une république. Mettons-nous dans une hypothèse où on est dans une station où c’est un responsable compétent, qui participe dans la productivité et qui participe au progrès de ce pays. L’erreur étant humaine, on démet comme çà cette personne, avec toutes les conséquences qui en résulteraient sur le plan rentabilité pour l’économie. C’est non pas l’acte qui dérange, mais dans nos pays, on doit essayer de revoir ces gros et lourds pouvoirs constitutionnels qui sont des subsides de la royauté. C’est ça la réalité. La cause de ce limogeage, nous le connaissons, c’est des luttes de pouvoir et personne ne comprend leur schéma. Ils devraient remettre leur patron au centre de leur préoccupation, le patron c’est le peuple. Ce peuple-là les attendait ailleurs. Est-ce que Karim doit revenir, la question du troisième mandat, ce ne sont pas des débats. On les attendait dans des actions concrètes de sortir le Sénégal dans les bas fonds des difficultés. Il y a un débat de fond qu’on doit aller chercher, j’ai l’impression qu’on essaie de nous mettre sur de fausses pistes.
L’idée d’un 3ème mandat est agitée dans un contexte de relance du dialogue national. Qu’en pensez-vous ?
La constitution est claire là-dessus. C’est sujet verbe et complément. On n’a pas besoin d’un vieux constitutionnaliste venu de la France pour nous interpréter nos textes. Lui-même, le président Macky l’a dit. J’ai verrouillé la Constitution, donc c’est deux mandats consécutifs et puis c’est fini. Si c’est à cause de çà qu’il a limogé ces gens-là, il a tort. Agiter ce débat, c’est ignorer l’essentiel. Pour moi, lutter pour avoir le pouvoir, juste pour le gérer, ça n’a pas de sens. Si on se bat pour l’obtenir, c’est pour servir. Même Dieu ne procède pas comme ça. Il faut que nos pays sortent de ce débat de faire comme si le dialogue est nouveau. Si on ne dialogue pas, on va vers l’abîme, c’est clair. C’est une tradition ancrée dans nos mœurs, on a vu la Charte du Mandée, on se souvient des textes de Amadou Hampathé Ba, etc. C’est comme si on sortait d’une guerre. Non, le dialogue dot être mené mais ce qui pose problème ce sont les règles du jeu. On doit s’accorder sur l’essentiel. On doit arrêter d’amuser la galerie.
Votre avis sur les retrouvailles Wade-Macky…
C’est quelque chose à saluer pour tout ce que le Président Wade représente pour ce pays en termes de conquête démocratique. C’est lui le précurseur. On a beau théoriser, mais il a beaucoup participé à la formation du président Sall. On ne peut que saluer cette réconciliation qui est heureuse, c’est le contentieux qui était malheureux. Tous les deux peuvent apporter beaucoup de choses : le Président Wade, pour son capital expérience, vu le réseau qu’il a, etc. peut apporter à ce pays en construction. Pour leur différend, c’était regrettable mais aussi il était inévitable. Car, comme disait Kennedy, ce qui les opposait, c’était pas des contentieux, mais des ambitions qui convergeaient. Wade ayant une ambition pour son fils et l’autre voulait devenir Président. Nécessairement, il devait y avoir séparation à un moment donné. Ce qui signifie simplement,  pour nous de la masse, que ces acteurs politiques quelques fois font semblant d’être en guerre alors qu’ils ont les mêmes ambitions. Il faut saluer aussi l’action du marabout dont l’appui en tant que négociateur a été déterminant dans ce processus.
Les locales reportées, recomposition de grands partis possible, combine par ci, manigance par là Comment entrevoyez-vous tout cela ?
Le jeu politique est ainsi fait. De toutes manières, cela ressemble plus à un jeu de poker qu’un jeu politique. Ça  n’a rien de politique. Il peut bien y avoir de combines comme à l’a vu récemment où on disait Madické Niang était un pion de Macky pour qu’il ait une majorité afin de libérer Karim etc. Franchement je considère que le peuple sénégalais est de loin devant les acteurs politiques. Ces derniers peuvent faire n’importe quel schéma mais ce qui est déterminant c’est l’urne. Et comme disait feu Djibo Ka, l’électeur, c’est un électron libre. Mais c’est ce qui est constant, c’est qu’il y a un jeu de dupes qui n’intéresse pas les sénégalais. Les gens souffrent, ils s’intéressent plus à leurs conditions qu’à autre chose. C’est les questions qu’on doit poser et non les schémas du vieux et du jeune.
Comment votre mouvement devrait-il se comporter face aux prochaines échéances ?
Nous à ‘’Intelligence républicaine’’, nous nous positionnons afin d’apporter un discours nouveau dans l’espace politique. Le discours nouveau c’est de se poser la question simple à savoir pourquoi on s’engage. On a fait de sorte que dans ce pays, la politique est devenue un métier alors qu’elle devait être un engagement. Notre action c’est la conscientisation pour changer le discours politique. Devant un discours qui essaie de nous faire croire que pour exister matériellement il faut faire la politique, il faut un autre discours plus puissant qui démontre plutôt que c’est un sacerdoce et un engagement noble. Il faut de nouvelles idées pour développer ce pays et il n’y a de secret, la base c’est la formation, l’éducation. La roue existe, il ne faut pas la réinventer. A voir le sommet Afrique Russie, on voit que les choses bougent. Obtenir une station de pouvoir, c’est être dans une situation où on peut créer de la valeur. Maintenant s’il le faut faire comme les autres, cela n’en vaut pas la peine. Dans une démarche incrémentale, nous allons progresser et pour les prochaines locales déjà on y sera, même avec des alliances.

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