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Réflexions et questions sur l’incendie du Building Administratif Mamadou DIA: L’ingénieur Mohamed Kante donne les raisons et propose quelques esquisses de solutions

Un incendie s’est déclaré au 10ème étage du Building administratif Mamadou Dia, ce jeudi 26 août.

Ce bâtiment abritant plusieurs ministères et démembrements de l’Etat du Sénégal est un édifice public, par conséquent, tout citoyen(contribuable) peut en parler sans ambages.
Ce sont les raisons pour lesquelles j’ai pris ma plume pour parler de ce bâtiment emblématique portant le nom d’une des personnalités importantes du Sénégal : Mamadou DIA.
Avant de parler de cet incendie, revenons un peu en arrière…
Réalisé en 1953 et provisoirement réceptionné en 1954, le Building est construit sur une surface de 2 600 m2 constitué de deux sous-sols, d’un rez-de-chaussée et neuf étages.
Après plus d’un demi-siècle, l’immeuble commençait à se dégrader.
En 2012, après l’accession du Président Macky Sall au pouvoir, le gouvernement a pris la décision de le réhabiliter et de le rénover.
Les travaux ont démarré en 2016 et ont été confiés à l’entreprise BAMBA N’DIAYE S.A en qualité de Maitre d’œuvre.
Totalement rénové et inauguré en fin janvier 2019, le Building administratif, qui accueille plusieurs démembrements de l’Etat du Sénégal, a coûté la somme de 36,4 milliards de FCFA sur financement de la BOAD, des banques locales et de l’État du Sénégal.
En Juillet 2020, l’ARMP (l’Autorité de Régulation des Marchés Publics) a autorisé la signature d’un avenant pour un montant de 330 599 000 francs CFA pour des travaux supplémentaires et d’extension de l’édifice.
Celui-ci était prévu à 17 milliards. A l’arrivée, les coûts se sont envolés à près de 40 milliards de francs CFA.

Le Nouveau bâtiment comprend désormais 10 étages, 639 pièces, 408 bureaux, 32 salles d’attente, 3 salles de conférence, 9 salles de réunion.
Il y a aussi deux restaurants, 12 dortoirs pour le service de sécurité, 22 blocs sanitaires, 12 ascenseurs, 174 places de parking, 23 entrepôts et 67 locaux techniques.
Ces travaux auraient aussi permis la mise en conformité réglementaire du Bâtiment selon l’entreprise ayant réalisée les travaux et confirmé par le Gouvernement par le biais du Ministre, SG du Gouvernement Abdou Latif Coulibaly :
– La protection passive des planchers par enduit résistant au feu,
– La réalisation d’un réseau de désenfumage,
– La reprise et la mise en conformité de l’alimentation électrique et d’eau potable,
– L’installation d’un réseau de détection incendie ou encore l’installation d’un réseau de Robinet d’incendie armé (Ria) de colonnes humides et de bouches d’incendie.

Quelques précisions :
Avant la rénovation, le Building comportait 9 étages, ceci le plaçait dans la catégorie des Immeubles (normaux) à usage de bureaux / administration car la hauteur du Bâtiment était inférieure à 28m.
Après la rénovation, le Building compte aujourd’hui 10 étages avec une hauteur supérieure à 28m. Il rentre ainsi dans la catégorie des Immeubles à Grande Hauteur, communément appelée IGH.
De par sa hauteur et son usage, il est classé GH W1 : immeubles à usage de bureaux (28 m.< h < 50 m.)
Dans le Chapitre 2(DISPOSITIONS DE SÉCURITÉ RELATIVES AUX IMMEUBLES DE GRANDE HAUTEUR) du code de la construction du 27 janvier 2010, il est détaillé toutes les normes et règles auxquelles doivent être soumises les IGH.
Parmi celles-ci on peut citer :
1. Une caserne de Sapeurs-Pompiers doit obligatoirement se trouver à moins de 3Km.
2. Façades : Potentiel calorifique < 25 MJ/m2 (1,5 kg de bois),
3. Tracé ne favorisant pas la transmission du feu,
4. Structures : éléments porteurs et auto-porteurs SF (Stable au Feu) 2 h ;
5. Compartiment : un IGH est constitué par un empilement de caissons étanches constituant des compartiments isolés par des parois, planchers et plafonds CF(Coupe-Feu) 2 h. La superficie du compartiment doit être < 2 500 m2, la longueur du compartiment doit être < 75 m ;
6. Les gaines doivent être protégées;
7. Limitation des risques : pas d’installation classée à l’exception des parcs de stationnement,
8. Interdiction de stockage de combustibles liquides, solides ou gazeux à l’exception des cuisines collectives et chaufferies à gaz en terrasses.
9. Dans la construction, la réaction au feu est réglementée :
– limitation du potentiel calorifique : 255 MJ/m2 (15 kg de bois).
10. Dans le contenu, le potentiel calorifique doit être < 400 MJ/m2 (soit 25 kg de bois).

Le jeudi 26 Juillet 2021, un incendie s’est déclaré au 10ème étage où se trouvent deux salles de conférence, un restaurant et une cuisine.
Il a fallu 2h de temps pour les sapeurs-pompiers pour venir à bout des flammes.
Ce vendredi, le Ministre Secrétaire Général du gouvernement, Abdoul Latif Coulibaly a fait face à la presse pour expliquer les circonstances de cet incendie.
Selon le Ministre, aucun blessé n’est à déplorer, fort heureusement mais d’importants dégâts matériels sont à noter.
L’unité des sapeurs-pompiers qui est basée de façon permanente au Building administratif, le mécanisme de sécurité incendie, le système de désenfumage ont permis de limiter la propagation du feu et de limiter les dégâts.

Cependant, quelques questions méritent d’être posées.
En effet, d’après les conclusions des premières enquêtes, l’incendie serait causé par des travaux de soudure au 10ème étage.
Pour information, les travaux de soudure sont aussi appelés des travaux par points chauds car générant des étincelles qui pourraient causer des incendies.

Un IGH étant régi par des règles strictes de sécurité, tous travaux par points chauds devraient être encadrés par un permis de feu.
Le permis de feu est un plan de prévention(document) écrit qui concerne la réalisation ponctuelle de travaux par points chauds (soudure, meulage, etc.). Il concerne des travaux déterminés, avec une période de validité. Il doit être renouvelé chaque fois qu’un changement (d’opérateur, de méthode de travail etc…) intervient dans le chantier.
Le permis de feu doit être signé par la personne commandant les travaux, représentant qualifié du chef d’entreprise, par la personne chargée de veiller à la sécurité et par l’opérateur.
Il insiste sur l’analyse des risques liés à l’opération et la prévention des dangers d’incendie ou d’explosion.
Ce document de prévention exige qu’une surveillance se fasse pendant les travaux mais aussi après les travaux (une ronde effectuée durant les 2h suivant la fin des travaux).
La première question est la suivante : Une procédure de permis de feu est-elle établie au niveau du Building ? Si oui, une analyse de risque a-t-elle été effectuée avant les travaux ? quelles sont les mesures de sécurité qui ont été mises en place durant les travaux ?
Par ailleurs, des critères sont exigés pour les matériaux à utiliser en façade des IGH à savoir : le Potentiel Calorifique devrait être inférieur à 25MJ/m2.Ceci pour éviter une inflammation rapide et importante des matériaux posés en façade.
Ce critère a-t-il été respecté ? si oui, publier l’attestation de conformité. Si, non afin d’éviter qu’un autre incendie beaucoup plus violent ne s’y produise, procéder à la mise en conformité.
Une caserne de sapeurs-pompiers devrait être installée à moins de 3Km du Building. Ce critère est-il respecté ? En ma connaissance, la Caserne la plus proche est celle de Malick Sy qui se trouve à plus de 3 Km du Building.

Dans le contenu, le potentiel calorifique doit être < 400 MJ/m2 (soit 25 kg de bois), mais aussi il est interdit tout stockage de combustibles liquides, solides ou gazeux à l’exception des cuisines collectives et chaufferies à gaz en terrasses.

Il est indiqué que, pour son autonomie en énergie, 30.000 litres de carburant sont stockés pour alimenter les 3 groupes électrogènes. Ces liquides inflammables sont-ils stockés dans le bâtiment ? si oui, ceci représente une non-conformité et un risque aggravant car ce volume est largement supérieur à la limite autorisée en IGH.
Quels sont les types de détecteurs installés et leur installation a été faite sur la base de quelle norme ? NFPA ? APSAD ? Car en effet, un système de détection incendie (SDI) est une unité faisant partie du système de sécurité incendie (SSI), dont l’objectif est de déceler de façon aussi précoce que possible la naissance d’un feu. Une question subsidiaire se pose, les systèmes de détection incendie ont-ils fonctionnés durant l’incendie ? Car si c’était le cas, au niveau du poste de contrôle, il aurait été détecté très tôt et en plus, comme précisé par le SG du Gouvernement, une équipe de sapeurs-pompiers est sur place, le feu aurait pu être maitrisé de façon beaucoup plus précoce.

Pour qu’un Système de Sécurité Incendie soit efficace et opérationnel, une maintenance doit être faite de façon régulière. Le SSI du Building fait-il l’objet de maintenance ? Quelle est la date de la dernière maintenance ?
Un dernier point concerne la qualification et les conditions dans lesquels les prestataires du Building sont sélectionnés.
L’argent utilisé pour la construction, la maintenance du Building est issu des ressources publiques, alors l’optimisation et la sécurisation de ces investissements devraient être la ligne directrice de la politique de gestion.

A la suite de cet incendie qui a causé des dégâts matériels assez importants, des travaux de réhabilitation et de réparation devront être entrepris.
Normalement, ils devront être supportés par l’état mais s’il s’avère que la Responsabilité Civile de l’entreprise ayant réalisé les travaux de soudure serait engagée, c’est cette dernière qui prendra en charge ces travaux de réfection.
Mais pour ce faire, il faudrait que cette entreprise ait une Assurance Responsabilité Civile Professionnelle assez conséquente, à défaut, l’Etat serait obligé de financer cela. Ce qui engendrerait d’autres dépenses issues des ressources publiques.
La question qui se pose est la suivante : L’entreprise ayant réalisé les travaux (soudure) a-t-elle une Assurance RC ? L’administration du Building vérifie t’elle ces informations lors de la sélection des prestataires ?

Ces questions soulevées ont pour simple but d’attirer l’attention des autorités en charge de ce building mais de manière plus large de nos infrastructures afin d’être beaucoup plus vigilants et exigeants quant à la sécurité incendie surtout dans le Immeubles à Grande Hauteur, les Etablissements Recevant du Public (ERP).
On sait qu’un incendie est un fait aléatoire, soudain, cependant avec une bonne politique de prévention, ce risque pourrait être mieux maitrisé.

Mohamed KANTE
Ingénieur en Risques Industriels, Expert Incendie / Explosion
Mel :kante.mouhamed13@gmail.com